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Entretien: Me Emmanuel Delannoy "Professions médicales et fiscalité"

Updated: Jan 13, 2021



Nous nous sommes entretenus avec Me Emmanuel Delannoy, avocat-fiscaliste à Bruxelles.

Bonjour Maître Delannoy, pouvez-nous en dire un peu plus à votre sujet:

Mon environnement familial m'a mis dès le plus jeune âge en lien avec le monde médical. Dès lors, ce fut pour moi un peu comme une évidence après avoir rejoint le barreau de Bruxelles il y a une dizaine d'années, de notamment m'intéresser aux matières concernant le corps médical. D'autre part, en tant qu'avocat-fiscaliste au sein du Cabinet Guilmot & Bassine que j'ai rejoint en 2015 en tant qu'associé, j'assiste mes clients dans tous les domaines du droit fiscal tant en fiscalité directe (IPP, impôts des non-résidents etc) qu'en matière de fiscalité indirecte (TVA, succession,..).

Pouvez-vous nous parler d'un sujet d'actualité qui intéresse plus particulièrement les médecins ?

Récemment, dans un article publié dans le bulletin juridique, j'abordais la thématique du Goodwill, en répondant à la question suivante : Un médecin peut-il apporter un Goodwill lors de la constitution de sa société?

Je me suis basé sur un arrêt de la Cour d'appel de Mons de 2013 qui reconnaît la possibilité pour un médecin hospitalier de céder son goodwill à sa société professionnelle dotée de la personnalité juridique.

Voici les faits : Un cardiologue avait conclu une convention avec un hôpital lui accordant l'exclusivité de ses consultations. En 1992, ce médecin cessa d’exercer en personne physique et constitua une Sprl dont l’objet social est la pratique de la radiologie et de l’imagerie médicale. A cette occasion, il céda à sa société l’ensemble de ses actifs corporels et incorporels dont notamment son goodwill dont la valeur fut fixée suivant le rapport d’un réviseur d’entreprise à trois années de recette. Ce Goodwill sera amorti (10 ans) et les intérêts de l’emprunt contracté pour l’acquérir seront déduits.

L’administration fiscale estima que l’acquisition de ce goodwill était fictive et rejeta les frais postulés par la Sprl sur base de l’article 49 du CIR 92.

Ce cas nous rappelle quelques éléments importants à prendre en considération dans le cadre du Goodwill. A savoir : l'acquisition; le principe de simulation; de même que l'identification et la propriété du goodwill.

Selon le fisc, l’acquisition d’un Goodwill serait dans ce cas-ci simulée dans la mesure ou le patient n’aurait de contact qu’avec le personnel de services et ne ferait pas le choix d’un radiologue qui n’est lié qu’exclusivement à l’établissement hospitalier. Ce que n'a pas partagé pas la Cour d'appel de Mons, étant donné que ce radiologue exerce en tant qu'indépendant dans un hôpital.

En ce qui concerne le principe de l’existence d’un goodwill, sans trop entrer ici dans les détails, la Cour a rappelé que la validité de la constitution par un médecin hospitalier d'une société professionnelle avec apport à la société d'actifs incorporels tels que la clientèle n'est plus contestée, pour autant que l'apport soit réel et correctement évalué, ce qui est également admis par L’Ordre des médecins.

Quant à la propriété du goodwill, l’administration soutenait que si le goodwill existait, ce dernier résulterait du travail de toute l’équipe du service de radiologie. La Cour a, quant à elle, estimé que si la clientèle n’appartenait pas au médecin qui la fait fructifier par son expérience professionnelle et ses capacités, il devrait logiquement percevoir une indemnité en cas de rupture, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

L’administration renvoyait encore à un arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2012 qui avait considéré la location d’une clientèle par un médecin comme simulée[1] sur base de l’article 2 de la loi relative aux professions de soin de santé qui comporte l’obligation pour les personnes qui pose des actes médicaux d’être effectués par des porteur d’un diplôme légal de médecine.

La Cour d’appel de Mons a contextualisé cet arrêt dont la portée est limitée à la question de la qualification des revenus perçus par un médecin suite à la location du droit d'exploiter la clientèle. Dans la mesure où c'est nécessairement le médecin qui a effectué les prestations en faveur des patients, même après la location au profit de la société, la Cour de cassation estime que les revenus tirés par le médecin de la société sont nécessairement des rémunérations de dirigeant d'entreprises et non de simples revenus mobiliers;

Cet arrêt de la cour de cassation qui décide que la location de clientèle par un médecin à sa société de médecins peut être simulée dès lors que seul le médecin - et non la société de médecins - peut exercer la médecine après la location, mais la Cour de cassation ne se prononce pas sur la question de principe de la possibilité ou non de donner la clientèle en location et sur la portée du principe d'attraction.

Certains médecins sont connus pour aimer les belles voitures, serait-ce une question provocatrice de vous demander si un chirurgien réputé pourrait s'acheter une voiture de luxe?

Pas du tout, à ce propos j'ai récemment rédigé un article répondant à la question suivante :"Est-ce déraisonnable d’avoir une Ferrari ?"

Le code des impôts sur le revenu précise que les frais exposés par un contribuable lorsqu’ils dépassent de manière déraisonnable les besoins professionnels ne sont déductibles[2]. L’administration fiscale fait régulièrement usage de cette disposition pour contester certains frais qu’elle juge somptuaire.

Si la charge de la preuve du caractère professionnel d’une dépense appartient au contribuable, il appartient par contre à l’administration fiscale de démontrer le caractère déraisonnable des frais exposés[3].


Dans un dossier où une société avait fait l’acquisition d’une Ferrari pour un montant de 2.900.000 BEF, la Cour d’appel de Liège[4] a estimé que l’administration avait échoué dans cette démonstration.

Selon la cour, dans la mesure où la caractère professionnel de la dépense n’était pas contesté, est arbitraire, le raisonnement selon lequel une dépense est déraisonnable au simple motif que son montant dépasse celui figurant au barème portant réglementation générale en matière de frais de parcours du personnel de l’État.

Faut-il en déduire que toutes les dépenses professionnelles sont automatiquement déductibles ? La réponse est négative, l’administration devra toutefois se baser sur des critères objectifs et sérieux pour rejeter de telles dépenses. Il convient également de rappeler le principe souvent oublié par certains contrôleurs selon lequel :

"L’administration fiscale n’a normalement pas le droit de s’immiscer dans la gestion d’une entreprise et de juger de l’opportunité d’une dépense ou le choix de la marque d’un véhicule"

Sébastien Van Passel

@sebvanpassel

Sources :

Ces articles peuvent être retrouvés dans le bulletin Juridique et Social (www.lebulletin.be) éditions Arthémis

  • [1] Cass 19 janvier 2012, Fisc, 1290 p.4

  • [2] Art 53, 10° CIR 92

  • [3] Art 870 C Jud.

  • [4] Cour d’appel LIEGE, 27 novembre 2013, RGCF, 2014/3-4, p. 242

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