L'influence des émotions dans nos décisions d'investissement
Updated: Jan 13, 2021

Introduction:
Les sujets liés au comportement des investisseurs me tiennent particulièrement à cœur et par conséquent mon esprit fut attiré par un article publié dans le Harvard Business Review de mars 2017 intitulé « Air pollution brings down the Stock Market » où l'on apprend que le professeur Anthony Heyes de l'Université d'Ottawa et son équipe ont identifié qu'il existerait un lien entre la pollution de l'air et la performance des marchés. Dans ce monde rationnel où les décisions sont prises sur base d'analyses des données, ils ont découvert que même les professionnels les plus aguerris sont influencés par leur environnement et donc des facteurs irrationnels. Par conséquent, imaginez comment les investisseurs privés peuvent être influencés par les émotions dans leurs décisions d'investissement.
1. Le mouton de Panurge:

Ce comportement peut être transposé dans le monde des investissements et c'est ce que je vais tenter de vous expliquer via ce chapitre.. Rappelez-vous le passé, dans les années '90, c'était le début d'une nouvelle époque florissante, celle des nouvelles technologies. En abréviation: TMT (pour les télécommunications, les médias et les nouvelles technologies). Même si les gens ont utilisé et écrit beaucoup sur ce nouveau marché, la plupart d'entre-nous n'ont pas investi dans le Nasdaq au début des années '90.

En 1995, à titre indicatif, l'indice Nasdaq se situait aux alentours des 1.000 points et il a atteint les 5.000 points (X5) en seulement 5 ans. La plupart des investisseurs sont entrés sur le marché en 1998 et en 1999 lorsque l'indice technologique le plus représentatif avait déjà ... triplé! Tout d'abord à juste titre, car des investissements massifs ont été réalisé dans les technologies pour se prémunir du fameux bug de l'an 2000 (souvenez-vous!) - Un deuxième facteur, internet est devenu accessible pour la plupart des utilisateurs vers le milieu des années '90 - Un troisième facteur, celui du phénomène des introductions en bourse, rappelez-vous notamment de Netscape. Lors de leur introduction ils ont commencé à l'ouverture à 28 USD et ont terminé leur premier jour de cotation sur le Nasdaq à 75 USD! Mais ce n'était pas totalement rationnel parce que tout le monde savait que le marché était surévalué. Le Nasdaq a explosé le plafond de son P/E en atteignant les 100 (price vs earnings) et a même atteint 175 de P/E en 1999. En comparaison, aujourd'hui, le Nasdaq est valorisé à un prix de 26,1 après une période d'augmentation très favorable! Qu'est-ce qui a poussé les gens à investir lorsque le marché était trop élevé? Bien sûr, c'est à cause du comportement du mouton de Panurge. Vous vous souvenez peut-être d'amis qui vous ont dit qu'ils qu'ils gagnaient tellement d'argent sur les marchés et pour être un précurseur et aussi "intelligents" qu'eux il fallait investir dans ces actions. Nombreux sont ceux qui ont été encouragé à passer de leur compte épargne vers ce marché tellement incroyable qu'il avait augmenté presque de manière constante pendant 5 ans, soutenus en cela par la publicité des banques qui affichaient d'énormes performances dans leurs fonds communs de placements technologiques. Par la force des choses, nous avons appris depuis lors que les performances passées ne garantissent/aient pas les résultats futurs. Par conséquent, le marché était surévalué et l'était même de plus en plus vu l'arrivée d'argent massif. D'autre part un petit groupe de spécialistes n'ont pas suivi la masse des investisseurs, préférant se focaliser sur la réalité des chiffres, ces personnes savaient que le crash était proche. Ces investisseurs sont dénommés des investisseurs Contrarian, Contrarian, parce qu'ils ne suivent pas les troupeaux, ils se fient à leurs analyses. La bulle a explosé une première fois en 2001 suite aux évènements du 11 septembre provoquant une fermeture des marchés pendant une semaine et ensuite en 2002 en raison des différentes affaires telles qu'Enron et Worldcom aux États-Unis, plongeant les marchés dans l'incertitude. En Belgique, nous avons vécu l'expérience négative de Lernout & Hauspie, en France avec Vivendi piloté par Jean-Marie Messier également connu sous le pseudonyme de J6M, en Suède avec Ericcson etc. etc etc.
2. La courbe des émotions face aux marchés financiers:
Comme une extension du sujet précédent, les neurosciences liées au monde des placements ont mis en exergue ce tableau, bien connu, représentant les décisions d'investissement liées à nos émotions.

Si vous écoutez vos émotions, vous n'investirez jamais lorsque les marchés sont au plus bas, mais la plupart d'entre nous prennent la décision d'investir en période d'euphorie, lorsque les marchés sont en forte croissance. C'est une grande erreur car, dans ce cas, vous ne prenez des décisions que via le spectre de vos émotions, en fonction des craintes et de l'exaltation, mais pas sur base d'une analyse rationnelle. Les gestionnaires de fortune reconnaissent que le timing du marché ne sera jamais votre meilleur ami. Un adage souvent utilisé dans notre métier est celui d'acheter au son du canon, et de vendre au son du clairon" (acheter quand vous entendez de mauvaises nouvelles et vendre quand vous entendez de bonnes nouvelles), qui est probablement la meilleure réponse à ce schéma lorsque vous êtes envahis par vos émotions pendant les périodes de forte volatilité sur les marchés. Dans ma profession, il existe un très bon indicateur lorsque le marché est au plus bas et que l'inquiétude est la plus forte pour connaître le moment où la courbe va s'inverser. En effet, habituellement, deux à trois jours avant ce point d'inflexion, la plupart des gens abdiquent et vendent tous leurs postes. J'ai connu cela en 2001, 2002 et en 2008 (même si mon expérience n'est pas statistiquement représentative). Dès lors, en période de forte de baisse des marchés assurez-vous de ne pas commettre cette erreur irréparable d'abdiquer et de tout vendre, car lorsque le marché reprend c'est souvent très vite et très fortement.
3. Le marchand de rêves (l'expérience de Madoff) :
Ce point nécessite probablement un article complet. En 2008, toute la planète a découvert le nom de l'ancien président du Nasdaq, Bernard Madoff. Celui qui, via sa société de gestion de patrimoine, a fraudé 4.800 clients pour 64,8 milliards de dollars. Basé sur le schéma de Ponzy (En 1920, Charles Ponzi est devenu célèbre en raison de la mise en place d'une fraude dont le mécanisme fut d'offrir des rendements élevés aux à de investisseurs tout en utilisant leur capital pour payer les primo-investisseurs et ... lui-même). Bernard Madoff, en raison de sa réputation, ce célèbre gestionnaire de fortune a arnaqué des investisseurs qui pensaient, par de faux documents, qu'ils avaient le privilège de participer à des rendements incroyables. Imaginez quelqu'un, bien connu, vous offre le privilège de participer à une activité offrant un rendement annuel constant de 10% et vous liez à cela le sentiment de faire partie d'un groupe de privilégiés et ainsi le tour est joué! Tout était faux, et personne ne pouvait imaginer que ce «Guru» n'était qu'un ... marchand de rêves. Outre le schéma de Ponzy, il ne fait aucun doute qu'un facteur psychologique fut d'une grande influence dans la réussite de ses méfaits. Sur le plan rationnel, il semble impossible d'investir dans ce type de placements, mais l'âme humaine n'est pas seulement rationnelle. Vous créez un rêve, inaccessible pour la plupart des gens, vous mettez un Guru charismatique dans le mélange, puis vous dites aux investisseurs qu'ils ont le privilège de participer à ce rêve impossible et vous avez un cas Madoff.
4. Ceux qui se vantent de leurs succès évitent de parler de leurs échecs:
Qui n'a jamais entendu cela: "Un de mes amis a gagné beaucoup d'argent grâce à une information perspicace" ou "Je connais quelqu'un qui fait chaque année en moyenne une performance supérieure à 10%"
Ce sujet est lié au précédent, bien qu'il ne s'agisse pas d'un cas de marchand de rêves. Toutefois, vu mon expérience auprès de clients investisseurs il est également dangereux d'écouter les histoires de réussites. Vos amis ne vous diront probablement jamais quand ils ont échoué, la plupart du temps, ils ne parleront que de leurs succès!
5. Confusion entre investissement à court terme et à long terme:
Mon expérience m'a montré que pour certains investisseurs privés, il pourrait y avoir une confusion entre les investissements à court et à long terme. Et une erreur dans cette stratégie peut causer pas mal de panique, surtout pendant des périodes de forte volatilité. Ce qui peut avoir comme conséquence de pousser les investisseurs à prendre LA mauvaise décision. En d'autres termes, si vous savez que dans les prochains mois, vous aurez des dépenses importantes, n'investissez pas cet argent en bourse. En tant que professionnel, nous conseillons à nos clients d'avoir une vision claire de leurs besoins à court, moyen et long terme. Cette évaluation évitera beaucoup de problèmes futurs dans la gestion de leur cash à titre personnel ou au niveau de la trésorerie de leur entreprise.
6. L'être humain à une tendance à rechercher une validation de ses souhaits:
Lorsque quelqu'un s'intéresse à une solution d'investissement, il compare généralement les informations afin de prendre sa décision, c'est très logique. Oui, mais c'est un point de vue purement analytique. Comme pour les autres sujets, en tant qu'être humain, nous oublions parfois que nous sommes motivés par d'autres facteurs.
Imaginez, votre ami intelligent, oui, celui qui a beaucoup de succès, celui qui a une belle voiture, la famille parfaite et un ... chien (oui, ce mec a la plupart du temps un chien charmant). Alors, imaginez cet ami vous dire, hey Max (oui, je vous appelle Max): "J'ai entendu de la part de mon gestionnaire de patrimoine que ce fonds X géré par un homme célèbre aura dans les mois à venir un rendement très impressionnant, car ils ont compris, eux, qu'il fallait investir dans le marché de l'eau ...... ".

Comment réagiriez-vous? Probablement, allez-vous commencer à «Googler» le nom du fonds, peut-être le nom du gestionnaire de fonds et probablement regarder leurs participations de plus près. Puis, parce que vous êtes intelligent, vous verrez l'évolution du prix de l'eau. Pour être honnête, vous ne savez rien de ce marché, comment estimerez-vous le prix? Qui sont les distributeurs les plus importants? Qu'est-ce qui affecte l'évolution de la demande? etc.). Votre attention sera attirée par les informations que votre ami vous a divulgué et vous prendrez votre décision en fonction des données que vous avez découvertes sur internet. Mais vous ne verrez probablement pas certains détails qui font la différence. Quel est le P / E * du marché de l'eau? Quelles sont les personnes ou les entreprises qui influencent le marché? Le gestionnaire de fonds a-t-il déjà acheté ces titres? Les a-t-il vendus depuis que vous avez obtenu l'information? Que pensent les autres gestionnaires de fonds du marché de l'eau? Pourquoi certains d'entre eux ont-ils refusé d'investir dans ce segment particulier?
Trent Porter, un planificateur financier américain, a déclaré à propos de ce sujet:
"Souvent, cela se produit lorsque nous mettons l'accent sur le résultat que nous souhaitons obtenir, comme investir trop dans les actions de l'entreprise pour laquelle vous travaillez, ce qui réduit également votre diversification. La meilleure façon de surmonter ce biais est de considérer l'information à partir de multiples sources"
7. Source de l'argent (épargné ou par héritage) :
En tant que banquier privé, j'ai découvert que, grâce à de nombreuses discussions avec les investisseurs privés, ceux-ci font (en général) une distinction claire entre l'argent qu'ils accumulent par leur travail et l'argent reçu par héritage. Ce biais peut influencer les décisions d'investissement. Au cours des discussions liées à la planification financière, ils disent généralement de l'argent qu'ils ont «reçu» ils ne veulent pas «le perdre» et ne souhaitent en prélever que les revenus afin de transmettre le capital à la génération future. Lorsque les taux d'intérêts étaient à un niveau élevé, ce n'était pas vraiment un sujet de discussion, mais maintenant que les taux sont très bas (**0,10% en moyenne en Belgique sur un compte d'épargne), je rencontre parfois des blocages "psychologiques" empêchant de prendre un risque supérieur au cash avec ces sommes d'argent. La conséquence directe est que ces personnes perdent de l'argent sur la base de taux réels (taux d'intérêt par rapport à l'inflation = 0,10% (compte épargne) - 1,8% d'inflation en moyenne sur la zone euro). C'est pourquoi il est courant de dire: "nous ne gagnons plus d'argent" en plaçant sont argent en banque. Oui, mais plus précisément, on perd de l'argent en l'investissant en cash ou dans certaines valeurs obligataires (ce fut également le cas au cours des dernières décennies, mais parce que les taux d'intérêts étaient plus élevés, la plupart d'entre-nous n'ont pas vraiment comparé le rendement de leur épargne par rapport à l'inflation). Ou une autre phrase commune; "les banques ne donnent plus d'argent à leurs clients". Cela semble ressortir du bon sens, mais la réalité est bien différente. En effet, un taux très bas voire négatif n'est pas de la responsabilité de votre méchant banquier, c'est beaucoup plus compliqué que cela. Depuis la crise financière, les banques doivent suivre des règles de solvabilité strictes afin d'éviter (essayer) un nouveau crash bancaire. En outre, les taux à court terme (fixés par la BCE = Banque centrale européenne) sont négatifs, ce qui signifie que la banque perd de l'argent lorsqu'elle fournit un taux positif de 0,10% sur son compte d'épargne.
Conclusions:
Grâce à ces différents sujets, j'essaie de montrer ... rationnellement que les investisseurs prennent des décisions à travers le prisme de leurs émotions. C'est un paradoxe ... la plupart des intermédiaires institutionnels essaient de trouver des solutions rationnelles pour leurs clients grâce à l'application stricte des règles de l'UE (comme Mifid), mais ils doivent également considérer que «We are only human after all», comme Rag 'N' Bone le raconte dans sa chanson. Cela signifie que votre planificateur financier est toujours très utile pour guider le mieux possible à travers ces sujets. N'hésitez pas à faire suivre cet article et à ajouter vos commentaires, ils sont les bienvenus.
Sébastien Van Passel - Twitter : @sebvanpassel
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Sources :
Scott Berinato, “Air pollution brings down the Stock Market” Harvard business Review, March-April 2017;
Air Pollution Brings Down the Stock MarkeAir pollution brings down the Stock Market by scott Berinato -Harvard Business Review march – april 2017
David S. Scharfstein, Jeremy C. Stein “Herd behavior and Investment” The American Economic Review, Volume 80, Issue 3 (Jun., 1990) 465 -479 http://econdse.org/wp-content/uploads/2013/04/herd-scharfstein.pdf
Satish Kumar Nisha Goyal , (2015),"Behavioural biases in investment decision making – a systematic literature review", Qualitative Research in Financial Markets, Vol. 7 Iss 1 pp. 88 – 108
Kate Stalter in Money US News : 26 may 2015 “7 Behavioral biases that may hurt your investments” : http://money.usnews.com/money/personal-finance/mutual-funds/articles/2015/05/26/7-behavioral-biases-that-may-hurt-your-investments
Rahul Gupta, 16 september 2014 “Effects Of Behavioral Biases In Investing Decisions” http://www.investopedia.com/articles/investing/091614/effects-behavioral-biases-investing-decisions.as
Glossary:
*The price-earnings ratio (P/E Ratio) is the ratio for valuing a company that measures its current share price relative to its per-share earnings. (Investopedia)
** article rédigé en 2017